Yann LeCun et Yoshua Bengio s'expriment sur la "guerre des intelligences" aux Rencontres de Pétrarque

A Montpellier, les rencontres de France Culture ont abordé la "guerre des intelligences" le 11 juillet, avec deux prix Turing – Yann LeCun, Chief AI Scientist à Meta et Yoshua Bengio, directeur scientifique du Mila montréalais – le directeur de Valeo.ai Patrick Perez et la philosophe membre du Conseil national du numérique Anne Alombert.

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Yann LeCun et Yoshua Bengio s'expriment sur la
De gauche à droite: Yann LeCun (Meta), Anne Alombert, Patrick Perez (Valeo) et Caroline Broué. Le Québécois Yoshua Bengio (Mila) était à distance.

L’IA a fait le plein : la cour Soulages du rectorat de l’Académie de Montpellier a reçu 500 personnes mardi 11 juillet sous le tilleul bicentenaire pour assister au débat des Rencontres de Pétrarque (France Culture) baptisé "IA : comment dépasser la guerre des intelligences ?".

Pour répondre : Yann LeCun, Chief AI Scientist de Meta, prix Turing 2018, professeur d’informatique et neurosciences à l’université de New York, auteur de Quand la machine apprend (Odile Jacob, 2023), Yoshua Bengio, chercheur et enseignant à l’Université de Montréal, prix Turing 2018 et directeur de l’institut québécois d’intelligence artificielle Mila, le directeur scientifique de Valeo.ai, Patrick Perez, et la philosophe Anne Alombert, membre du Conseil national du numérique et auteur du livre Schizophrénie numérique (Allia, 2023).

Optimiste ou pessimiste ?

Premier constat : l’expression "intelligence artificielle" ne réunit pas une adhésion unanime. Si pour Yann LeCun, l’IA "amplifie l’intelligence humaine", la philosophe Anne Alombert refuse l’idée de "simuler" l'intelligence humaine, et réfute l’anthropomorphisme appliquée aux machines, aux réseaux. Patrick Perez remarque : "Le mot colle comme un sparadrap à la discipline, il faut faire avec."

Très vite, l’arrivée fracassante de ChatGPT d’Open AI a été mentionnée, associée à une quinzaine de systèmes LLM (large language model) existants. Elle a changé la donne pour l’intelligence artificielle. "L’engouement du public a surpris. ChatGPT n’est pas particulièrement innovant, les progrès sont arrivés avant", commente Yann LeCun, qui travaille sur des modèles de type JEPA, dévoilés en juin par Meta. Considérés comme les pères du deep learning, les amis Yann LeCun et Yoshua Bengio ont des positions différentes sur la "guerre des intelligences".

Pour l’animatrice Caroline Broué, l’IA crée trois peurs vis-à-vis de l’IA : "les faux, l’impact sur le travail et sur l’humanité". "Je suis toujours très optimiste, lance en retour Yann LeCun. Dans dix ou vingt ans, nos interactions se feront toutes via l’intermédiaire d’assistants intelligents. Cela ne fait aucun doute : il y aura des machines plus intelligentes que les humains. Il ne faut pas en avoir peur... Ce qui manque encore aux systèmes aujourd’hui, c’est la capacité de comprendre comment fonctionne le monde, de raisonner et planifier des actions, Les systèmes futurs seront pilotés par des objectifs, ça nous permettra de les rendre pilotables."

Signataire fin mars d’une demande de moratoire sur l’intelligence artificielle, Yoshua Bengio (Mila) recommande "d’investir beaucoup plus pour mieux comprendre les risques et essayer de les éviter. Il faudrait investir dans la sécurité, la compréhension des publics. Or, presque tous les investissements vont à l’augmentation des capacités cognitives. Le danger, c’est nous. Il y a toujours une minorité de gens qui vont faire des choses horribles."

En matière de régulation, Patrick Perez mentionne le futur AI Act européen pour "éviter le Far West", tout en soulignant le rajout en urgence de l’IA générative dans le projet de texte et le fait que les garanties demandées peuvent ne pas être techniquement faisables.

Open source ou fermé ?

Audible en replay sur les ondes, l’émission fut suivie d’échanges avec le public montpelliérain. À une question sur l’open source, Yann LeCun voit une évolution qu’il regrette : "Si toutes les recherches de Meta sont publiées et les codes sont open source, on assiste depuis quelques mois au changement d’autres acteurs industriels, qui se referment comme des huîtres", en raison des intérêts économiques.

Pour lui, l’interaction entre les chercheurs de la communauté AI nourrit les avancées : "ChatGPT en est un exemple, puisqu’il utilise des travaux de Meta et Google et une idée d’origine de Yoshua. L’IA n’est pas quelque chose qu’un seul labo peut faire dans son coin." Patrick Perez ajoute : "J’expliquais à mon pdg ce matin que même les entreprises privées bénéficient grandement de ce que les autres ont mis en libre." Il a rappelé le lancement d’un nouveau Plan IA par la France, et abordé l’apport et les limites actuelles des systèmes.

Celui qui a travaillé sur l’imagerie médicale à l’Inria croit que l’IA "va être une source considérable de progrès dans le médical". Côté limites, "il y en a une assez forte liée au contenu des données. La performance dépend aujourd’hui beaucoup de leur qualité". Ce n’est pas tout : "Ces machines ont beaucoup du mal à douter, à s’expliquer sur les décisions prises, résistent assez mal aux imprévus, ont du mal à improviser dans des conditions nouvelles pas expérimentées à l’apprentissage. Ces limitations sont des sujets de recherche à part entière, cruciaux pour les applications critiques de l’IA."

Nouveaux métiers

La communauté des chercheurs continue de s’étoffer. "Les congrès mondiaux de recherche comme NeurIPS, ICML et ICLR rassemblent 7000 à 8000 personnes", avance Yann LeCun, questionné par L’Usine Digitale après le débat. "500 personnes travaillent chez FAIR dans la recherche sur l’intelligence artificielle. Le chiffre passe à plusieurs milliers en recherche appliquée, portant, sur des dizaines de projets." FAIR, anciennement "Facebook AI Research", signifie aujourd'hui "Fundamental AI Research" suite au changement de nom de l'entreprise.

Google DeepMind aurait plus de 2000 collaborateurs... Chez Valeo.ai, Patrick Perez pilote 30 collaborateurs dédiés à la recherche amont (au-delà, 200 chercheurs et ingénieurs sont focalisés sur le développement des aides à la conduite). "Les effectifs augmentent, mais pas de façon massive. Depuis un an, la nouvelle gamme de l’IA conduit à nous renforcer sur de nouveaux métiers." Si les compétences sont là, il cherche à féminiser les équipes. "Je viens de recruter une femme et trois de nos neuf thésards sont des femmes."

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